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L’oreiller de la Belle Aurore, une déclaration d’amour charcutière

Cette semaine, j’aimerais également vous parler d’un temps que les moins de deux cent ans ne peuvent pas connaître… Une époque où les rencontres amoureuses n’étaient pas assistées par l’algorithme d’une application.


L'oreiller de Pierrick Bougerolle (Champion de France 2025)
L'oreiller de Pierrick Bougerolle (Champion de France 2025)

L’oreiller de la Belle Aurore, une déclaration d’amour charcutière


Au milieu du XIXe siècle, dans la campagne du Bugey, entre la Savoie et la Bresse, il n’était alors pas évident de déclarer sa flamme à sa bien-aimée, surtout quand elle se trouvait être la mère de son patron. Les amours impossibles inspirent les écrivains et les poètes… pourquoi pas les cuisiniers ? Voilà, comment s’écrivent les légendes.


Claudine Aurore Récamier était la mère d’Anthelme Brillat-Savarin, le « roi des épicuriens », auteur, en 1825, de La Physiologie du goût. Pour séduire celle qui était elle-même une vraie cordon-bleu, il fallait une œuvre à la hauteur. Elle fut démesurée.


Le chef du magistrat gastronome composa un véritable poème charcutier. Les viandes les plus fines remplacèrent les mots dans cette ode à la belle Aurore.


Perdrix rouges, bécassines, cailles, pics-verts, râble de lièvre, biches, chevreuils, poulets, canards, chair de veau, de porc, foies blonds de poulets et poulardes de Bresse, ris de veau, moelle de bœuf, champignons, pistaches, panade, porto et truffes noires entraient dans la composition originale de ce pâté en croûte, dodu comme un oreiller, pouvant peser jusqu’à 30 kilos. « Lorsque l’on coupe l’Oreiller de la Belle Aurore, le parfum des truffes noires mêlé au fumet des viandes embaume la salle à manger ; les tranches tombant sous le couteau présentent l’aspect d’une mosaïque de couleurs vives et variées et sont imprégnées des sucs d’une gelée vineuse couleur d’or », décrira Lucien Tendret, en 1892, dans son livre La Table au pays de Brillat-Savarin. Il faut la précision des orfèvres de la marqueterie pour réussir un tel montage ; chaque tranche devant être composée de l’ensemble des viandes et ingrédients entrant dans la composition pour ne léser aucun convive.


Print the Legend


Deux siècles plus tard, l'origine de cette oeuvre charcutière reste discutée. Dans le livre qu’il a consacré à “Brillat-Savarin, le gastronome transcendant”, Jean-Robert Pitte va jusqu’à expliquer que la mère du gastronome du Bugey ne s’est sans doute jamais réellement appelée Aurore.


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Quand la légende est belle, il faut savoir s’y abandonner. “When the legend becomes fact, print the legend” conclut Maxwell Scott, l’un des personnages de John Ford à la fin de L’Homme qui a tué Liberty Valence (1962).



Si l’on ne sait pas vraiment ce qui a inspiré cette recette, l’oreiller de la Belle-Aurore reste néanmoins une cathédrale à laquelle peu de charcutiers osent se confronter. L’entreprise est terriblement technique.


Dans son auberge de Collonges-au-Mont-d’Or, Paul Bocuse releva avec le génie qu’on lui connaissait le défi. Son oreiller était un véritable « opéra gastronomique ». Le critique Périco Légasse raconte : « Le phénomène mérite que l’on fasse le pèlerinage une fois dans sa vie pour ne jamais l’oublier. Outre sa présentation et son dressage, qui relèvent du rituel magistral, surtout si officie François Pipala, premier maître d’hôtel de Bocuse et dernier des chorégraphes virtuoses du service de salle, l’esprit, le contenu et la conception de l’oreiller en font une institution politique dans l’univers culinaire français ».


Le champion de France est à Saulieu


En 2011, c’est le charcutier Gilles Vérot qui reprit le flambeau. Puis, en 2024, la La Confrérie de l’Oreiller de la Belle Aurore se donna pour mission de perpétuer et de valoriser ce patrimoine gastronomique. Elle intervient dans un contexte de renouveau du pâté en croûte et représente un engagement collectif des artisans charcutiers-traiteurs à préserver l’authenticité de cette recette historique.

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Le 5 novembre dernier, la Confédération Nationale des Charcutiers Traiteurs (CNCT) a organisé la première édition du Championnat de France de l’Oreiller de la Belle Aurore. 21 artisans Charcutiers-Traiteurs âgés de 20 à 54 ans, venus de toute la France se sont affrontés dans cette compétition.

Ils devaient réaliser une pièce complète respectant la recette historique — à base d’au moins sept viandes différentes, dont trois gibiers, avec une farce limitée à 20 % et 10 % de gelée maximum — tout en y apportant leur touche personnelle.


C’est finalement Pierrick Bougerolle, charcutier bourguignon installé à Saulieu (ville gourmande s’il en est), qui a décroché le titre avec un oreiller réunissant huit viandes (foie gras, perdreaux, filet mignon de sanglier et de cerf, canard, cailles, chevreuil et lièvre), truffes et pistaches. Une consécration qui rappelle que les grandes recettes ne meurent jamais vraiment : elles attendent simplement qu’une nouvelle génération d’artisans leur redonne vie, perpétuant ainsi, deux siècles plus tard, l’héritage du gastronome du Bugey.


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