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Le pâté croûte, l’histoire d’une rédemption

  • Photo du rédacteur: Olivier
    Olivier
  • il y a 13 minutes
  • 5 min de lecture

Comment un plat millénaire devenu ringard a-t-il pu se hisser à nouveau sur les plus belles tables du monde ?


La destinée du pâté-croûte, c’est un peu l’histoire de la gastronomie racontée par Disney. Voilà un modeste plat très mal considéré qui se transforme grâce à la baguette magique de quelques artisans et chefs passionnés en symbole de l’excellence française. C’est notre happy end charcutière.


La conserve antique


Mais remontons les siècles. Tout commence dans l’Antiquité. Les Romains, pragmatiques comme toujours, avaient inventé l’Artocreas — littéralement “pain à la viande” en grec (artos = pain, kreas = chair). On enrobait de la viande dans une croûte de farine, d’eau et d’huile, puis hop, au four. La pâte, dure comme un centurion, ne se mangeait pas. Elle servait en revanche à la fois de Tupperware antique, de moule de cuisson et de boîte de conserve .


Dès le IVe siècle, De re coquinaria, attribué à Apicius, mentionne déjà des préparations qui laissent entrevoir ce que deviendront quelques siècles plus tard les pâtés-croûte.


Taillevent et les 25 nuances de pâté


Avançons dans le temps. Au XIVe siècle, Guillaume Tirel, dit Taillevent, cuisinier de Charles V, codifie la cuisine française dans son célèbre Viandier.


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Plusieurs dizaines de recettes de pâtés-croûte y sont décrites. Preuve que ce plat que l’on consomme aussi bien en entrée froide, que chaud pendant le service des rôts, voire durant celui des entremets et même pendant la desserte n’est pas un plat parmi d’autres, c’est le trait d’union qui unit la cuisine seigneuriale.


À l’époque, on utilise une “pâte morte” — farine et eau, sans matière grasse — qui devient aussi dure qu’un couvercle de cocotte après cuisson. On casse cette croûte, également appelée “coffre”, pour accéder au trésor caché : viandes de porc, de veau, gibiers à plumes (perdrix, pluvier, mauviette), le tout haché, épicé, mélangé à des œufs et de la mie de pain. Parfois agrémenté de gelée.

Cette pâte-moule est si pratique qu’on parle de “pâtés en pot” : en l’absence de récipients métalliques pour tout le monde, la croûte est le pot.


🤢 Surprise !


Mais attention. Après avoir cassé la croûte, la surprise n’a pas toujours été très bonne.


Au Moyen Âge, la croûte fait, en effet, le bonheur des arnaqueurs et le malheur des gourmands. Les pâtissiers (qui sont à l’origine la confrérie qui conçoit ses pâtés) travaillent dans leurs arrière-boutiques, à l’abri des regards. Ils font bouillir les viandes, les hachent menu, les masquent sous la pâte et les épices. Résultat : les matières premières deviennent méconnaissables. Pratique pour écouler des restes douteux. Voire pire.


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Les rumeurs circulent : chats, rats, viandes avariées... “Ce que cache la pâte reste dans la pâte”, semble être la devise de tous ces maquignons charcutiers. Ah ! on est encore loin du “sourcing” responsable promu par Le fooding et les foodistas.


Face à la défiance populaire qui croît, le prévôt de Paris Étienne Boileau est obligé d’intervenir.

Dès 1270, des règlements stricts sont instaurés : encadrement strict des ingrédients autorisés et interdiction de vendre des viandes corrompues ou impropres à la consommation ; contrôle du temps de conservation de certaines préparations (dont les pâtés) et obligation de respecter des poids et qualités déterminés.


Une tentative de rassurer le client…



La Renaissance grâce au beurre

Heureusement, tout s’arrange à la Renaissance.


L’introduction massive du beurre dans la pâte change la donne. Finis les couvercles en béton armé : la croûte devient friable, savoureuse, dorée. Elle ne se jette plus, elle se déguste. Le pâté croûte passe du statut de conserve rustique à celui de mets raffiné.


Les farces s’affinent, les viandes s’anoblissent. On prépare désormais la pâte à base de “bon beurre”, comme le précisent les recettes. Les pâtissiers rivalisent d’ingéniosité et créent des pâtés en trompe-l’œil : moules en forme d’animaux, ou au contraire formes abstraites pour surprendre le convive.


L’âge d’or littéraire


Au XIXe siècle, le pâté croûte atteint son apogée. Victor Hugo, Alexandre Dumas et même Colette le citent dans leurs œuvres. Il trône sur les tables aristocratiques, dans les banquets, dans les récits gourmands. Chaque région développe sa spécialité : pâté lorrain (le plus célèbre), pâté de Chartres, pâté de Pâques, pâté lyonnais au poulet de Bresse ou au canard des Dombes.


C’est aussi l’époque où naît un monument : l’Oreiller de la Belle Aurore, ce pâté de 30 kilos composé d’une vingtaine de viandes différentes, de truffes et de foie gras. Une cathédrale charcutière dont je vous ai raconté l’histoire d’amour dans une précédente lettre.


Le pâté croûte règne. Il est technique, prestigieux, généreux. Antonin Carême, “le cuisinier des rois et le roi des cuisiniers”, en fait une architecture culinaire. Les croûtes deviennent des décors sophistiqués, des œuvres d’art comestibles.


La re-chute : quand l’industrie s’en mêle

Et puis vient la catastrophe.

Les années 1970-1990 sont cruelles pour notre héros. L’industrie agroalimentaire s’empare du pâté croûte et le massacre. Fini les viandes nobles, les farces soignées, les pâtes dorées. Bienvenue à la gelée rose fluo, aux croûtes molles, aux viandes de bas morceaux. Le pâté croûte devient le symbole de la malbouffe de supermarché et de cantine scolaire.


Il disparaît des cartes des grands restaurants. Les chefs l’abandonnent. Les charcutiers artisanaux se raréfient, remplacés par la production industrielle de masse. Le pâté croûte, jadis fierté des tables seigneuriales, finit sa course entre les carottes râpées et les mauvaises rillettes. Délaissé des fin de cocktails. Has-been de la charcuterie française. Cruel !


2009 : le miracle lyonnais

Mais voilà. En 2009, quatre Lyonnais décident de sauver le soldat pâté croûte.


Le Chef Christophe Marguin, président des Toques Blanches Lyonnaises, s’associe à Audrey Merle, Gilles Demange et Arnaud Bernollin. Ensemble, ils lancent un pari fou : le Championnat du Monde du Pâté-Croûte. L’idée paraît saugrenue. Organiser une compétition internationale pour un plat ringard ? Qui va venir ?


Le monde entier ! Enfin presque ;-).


Le succès est immédiat. Facebook s’emballe, Instagram découvre les coupes géométriques du pâté - difficile de faire plus instagrammable !


Les Meilleurs Ouvriers de France se mobilisent. Et surprise : des chefs japonais débarquent. Maîtres de la précision et de la marqueterie, ils rafleront 4 fois le titre au cours des 6 dernières éditions. La France, pays du pâté, piquée au vif, se ressaisit.


Le championnat crée l’émulation. Le pâté-croûte redevient technique, désirable, tendance. Il revient dans les bouchons lyonnais, puis dans les bistrots parisiens, enfin sur les cartes des restaurants gastronomiques. C’est la remontada !


Le pâté aujourd’hui : diversité et créativité


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Aujourd’hui, chaque région cultive sa spécialité avec fierté :

  • Le pâté lorrain (Lorraine et Champagne), composé de porc et veau marinés au vin blanc, reste le plus emblématique

  • Le pâté de Chartres, élégant et raffiné

  • Le pâté franc-comtois, rustique et généreux, qui intègre les produits du Jura


Mais la révolution est en marche et la liberté retrouvée. On trouve désormais des pâtés aux légumes grillés, aux fruits de mer, aux champignons sauvages. “De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace” aurait dit Danton qui s’y connaissait, certes, plus en Révolution qu’en pâté.


Thibault Gonzalès, le nouveau champion, l’a prouvé. Son pâté “façon Vannier” revisite les codes avec élégance. Porc Kintoa des Pyrénées, magret et foie gras des Landes, ris de veau : une partition qui respecte l’héritage tout en racontant une histoire contemporaine.


Nota bene : pâté croûte, pâté en croûte, ou simplement pâté ?

Une dernière chose. Comment doit-on l’appeler ?


Les puristes lyonnais disent “pâté croûte” ou “pâté-croûte” (avec tiret). C’est d’ailleurs le nom officiel du championnat du monde. D’autres parlent de “pâté en croûte”.


Quant au Pr Jean-Robert Pitte, aussi érudit que gourmet, il plaide simplement pour pâté. Le mot “pâté” vient de “pâte”, dire “pâté croûte” serait un pléonasme. Il faudrait simplement dire “pâté”, et réserver le mot “terrine” pour les préparations cuites dans un récipient en terre.



Pâté ? Pâté-en-croute ? Pâté-croute ? De toutes façons, on ne parle pas la bouche pleine. Bon appétit.

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